Wednesday, September 19, 2007

Fonds publics: Près de 2000 milliards détournés en six ans


Le chiffre emane d’un rapport du Contrôle supérieur de l’Etat datant de mai dernier.

Pour être officiel, le chiffre n’est pas moins susceptible de donner le tournis. “ Les services du Contrôle supérieur de l’Etat estiment à plus de 1845 milliards de F Cfa le montant total des distractions des deniers publics opérées entre 1998 et 2004 soit 300 milliards par an ”. Le constat est implacable. Il figure dans des documents qui datent de mai 2007. On pourrait ajouter que cette somme est proche du montant du budget de l’Etat pour l’exercice 2006 qui s’élevait à 1861 milliards F Cfa. Les statistiques avancées par les services du Contrôle supérieur de l’Etat se fondent sur quarante et une missions effectuées par cette institution auprès des collectivités territoriales décentralisées, des organismes publics et des entreprises publiques, entre 1997 et 2004. D’une manière générale, ces missions “ ont permis de déceler des irrégularités préjudiciables à la fortune publique ”. Plus précisément, “ la synthèse de ces irrégularités se résument (sic) comme suit : distraction des fonds ; violation de la réglementation dans la passation des marchés publics ; livraison partielle ou fictive ; déficit de caisse ; cession irrégulière ou distraction des biens meubles de l’Etat ; engagement des structures de l’Etat dans les dépenses manifestement ruineuses ; octroi des avantages indus ; surfacturation ; certification des états financiers dont certaines prestations se sont avérées fictives dans les entreprises publiques ; non reversement à la Cnps des cotisations sociales ; recrutements irréguliers du personnel ; non prélèvement ou non reversement des impôts et droits de taxes par les gestionnaires de fonds publics ; dépassements non autorisés des crédits budgétaires ”. Pas besoin de décliner les structures concernées par ces détournements. Au vu de certains indicateurs, les observateurs peuvent d’ailleurs être fondés à considérer que ces données pourraient ne refléter que la partie visible d’un iceberg qu’on imagine plus impressionnant. D’abord, parce que les chiffres se fondent sur des missions entreprises entre 1998 et 2004. Ce qui suggère que les statistiques concernant la période de 2005 à 2007 n’ayant pas été prises en compte dans les évaluations officielles commises en mai 2007, le montant de ces atteintes à la fortune publique- dont nul n’imagine qu’ils ont disparu des mœurs managériales comme par enchantement- pourraient entre temps revu à la hausse. Ensuite, en raison du caractère circonscrit des missions effectuées : une quarantaine seulement en six ans, alors qu’au moins six cent cinquante entités devraient être logiquement concernées, dont 33 départements ministériels, 336 collectivités territoriales décentralisées, 251 entreprises du secteur public et parapublic et 30 établissements en liquidation, selon une évaluation officielle. Illustration Encore, le Contrôle supérieur de l’Etat travaille-t-il dans des conditions peu susceptibles de garantir un rendement optimal. Officiellement, “ les crédits alloués aux missions mobiles de vérification n’ont jamais dépassé le seuil de 2/10 000 ( soit 0,02%) du budget de l’Etat. Au plan des ressources humaines, le gel des recrutements dans la Fonction publique, la promotion d’un certain nombre de personnels à des hautes fonctions ainsi que les départs massifs à la retraite des vérificateurs chevronnés et autres personnels d’appui, et l’insuffisance de formations permanentes de ces derniers ont considérablement hypothéqué l’atteinte des résultats attendus de cette auguste institution”. Tout un réquisitoire. Qui questionne au moins la volonté politique de ceux qui ne loupent pas une occasion pour proclamer, urbi et orbi, leur ferme détermination à lutter contre la corruption depuis que les bailleurs de fonds ont érigé cette question en “ repères ” de réussite des programmes économiques, et institué la gouvernance comme “ déclencheur ” du point d’achèvement de l’initiative Ppte - du reste atteinte en avril 2006 par le Cameroun. A titre d’illustration, en l’espace de quelques mois, Paul Biya a, au moins en deux occasions d’une solennité particulière, annoncé de mesures vigoureuses. Le 21 juillet 2006 - soit six mois après le déclenchement de ce qu’on a appelé “ opération épervier ”- du haut de la tribune du troisième congrès extraordinaire du Rdpc, il affirmait : “ Nous avons encore, je dois le dire, un grave problème de morale publique. Malgré nos efforts pour les combattre, la fraude, les détournements de deniers publics, la corruption continuent de miner les fondations de notre société. J’ai eu souvent à m’exprimer sur le sujet et à dire ma détermination à éradiquer ces comportements asociaux. Des sanctions sévères ont été prises au cours des derniers mois. Nous n’allons pas nous arrêter en chemin. Ceux qui se sont enrichis aux dépens de la fortune publique devront rendre gorge”. Lors du conseil ministériel du 12 septembre 2007, le président de la République, revenait à la charge. “ La troisième priorité du gouvernement consistera à lutter contre la corruption avec encore plus de détermination que par le passé. C’est la corruption qui, pour une large part, compromet la réussite de nos efforts. C’est elle qui pervertit la morale publique. Chacun d’entre vous doit se sentir responsable de ce combat dans son domaine de compétence. Je vous invite donc à plus de vigilance. Le détournement de l’argent public, quelle qu’en soit la forme, est un crime contre le peuple qui se voit privé des ressources qui lui reviennent. Il doit donc être sanctionné avec la plus grande sévérité. ” Or, secret de Polichinelle : le président de la République est, au vu de ses responsabilités instituées et institutionnelles, naturellement concerné au premier chef par cette question à la gravité avérée. En l’espèce, très peu d’observateurs pourraient imaginer qu’il ne soit pas informé de l’étendue et de l’ampleur de ces atteintes à la fortune publique. Et de toute évidence, en cette matière, le Contrôle supérieur de l’Etat dépend, pour sa mobilité, sa mise en mouvement, du seul chef de l’Etat. Des considérations et d’autres qui tendent à accréditer l’hypothèse selon laquelle les blocages à l’action du Contrôle supérieur de l’Etat sont à rechercher du côté d’Etoudi. On pourrait ajouter le décalage criard entre les déclarations souvent tonitruantes du président de la République et les actions espérées, voire attendues de l’opinion et des bailleurs de fond. Comme si la lutte contre la corruption exigeait davantage encore que la multiplication et la superposition des institutions, et plus encore que des procédures judiciaires spectaculaires.

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